De l’Aïd el-kébir à l’Aïd al-seghir, en passant par le Mawlid al-nabawi et Achoura, les Marocains sont à cheval sur les fêtes religieuses.
Dépenses, réjouissances, festins… on ne rechigne sur rien.
Nous vous convions à une immersion dans le sacré festif du royaume.

L’Aïd el-Kébir: la Fête du Sacrifice

C’est probablement la fête la plus importante pour les musulmans. Elle se tient à la nouvelle lune, le 10ème jour du mois hégirien Dhou al Hijja, le dernier mois du calendrier islamique.
Selon ses moyens, chaque chef de famille se doit d’égorger un mouton. S’il n’a pas les moyens, il peut égorger un animal moins gros ou moins cher, comme une chèvre par exemple.
Les musulmans qui égorgent ont pour coutume de donner un tiers de la viande à une œuvre caritative, les deux autres tiers sont consommés par eux même et leurs familles. Ainsi, indépendamment de sa situation financière, tout le peuple musulman peut fêter, être heureux et bien manger en cette grande journée.
L’Aïd al Kebir a lieu soixante-dix jours après la fin de Ramadan. La fête s’étale sur trois jours, et plus fréquemment une semaine, voire plus.
Durant cette période, tout le pays s’arrête. On part retrouver la famille, au « bled ». Les transports sont bondés et l’ambiance est joyeuse.

Le mouton, star d’un jour

Où que l’on soit, la préoccupation principale est bien sûr… le mouton. Certains l’on réservé longtemps à l’avance, d’autres, attendent la dernière minute. Chacun sa manière de faire, mais tout le monde s’accorde sur un point : Il faut absolument que le mouton soit beau et dans tous les cas… « plus beau » que celui des voisins.
Quelques jours avant, la veille au plus tard, il arrive à la maison. Il va être gardé dans la cour, ou sur la terrasse. Ainsi, les nuits précédant la fête, la ville se transforme en une vaste scène de concert de bêlements.

L’Aïd El-Kébir dans un hameau reculé

Mon premier souvenir de fête du mouton remonte il y a bien longtemps. C’était dans mon enfance, lors d’un périple dans la vallée du Dra. Un de ces village en pisé, aux ruelles en terres battue. Son des prières, chants et rires des femmes et des enfants, tenues colorées, bêlements des moutons. Puis, ce moment de silence ou la terres battue des ruelles se mêle au sang et à l’urine. Une expérience pittoresque, émouvante et tout de même un peu perturbante pour un enfant non initié.

L’Aïd el-Kébir en ville

Dans les grands pôles modernes, aujourd’hui, plus rien de la sorte. Impossible aux non-initiés de savoir ce qu’il se passe derrière les portes des villas. Seuls les bouchers itinérants faisant du porte-à-porte avec leur tablier taché de sang et leurs grands couteaux laissent percevoir que ce n’est pas un jour comme les autres.

L’Aïd El-Kébir dans la médina de Fès

Dans la médina de Fès, j’ai découvert l’aspect véritablement festif de cette fête atypique, souvent décriée en occident.
Plusieurs jours, voire semaines, avant, l’atmosphère est clairement festive. Les fassis ramènent leur mouton à la maison. Taxi, mobilette, voiture, puis trajet à pied jusqu’à leur demeure. Tous les moyens sont bons pour ramener le mouton chez soi.
Les enfants déambulent dans les rues en tenues de fête. Pendant quelques jours, le mouton sera leur camarade de jeux.
Les femmes s’affairent plus que d’habitude à des allers-retours entre leur domicile et le four. Il y aura des réceptions familiales, il faut donc redoubler d’effort pour préparer pains et gâteaux.
Le jour de la fête, les ruelles de la médina se transforment. Ici un boucher itinérant qui pose son billaud au coin d’une rue ; là, sur une placette, un barbecue itinérant, où les pauvres viendront griller les pieds de moutons et autres pitances qu’ils auront mendié aux portes des maisons.
Comme chacun procède à son sacrifice à peu près en même temps, le ciel s’embrase d’un seul coup de la fumée noir des kanouns (barbecue au feu de bois), eux aussi, allumés en même temps. Je suis chaque année fascinée par l’atmosphère que confère à la ville ce ciel sombre et cette odeur de feu de bois.
L’Aïd El Kebir n’est clairement pas un jour comme les autres.

Le jour de la fête

Le jour J, commence par la grande prière et le serment à la mosquée. Puis vient le sacrifice. Mais jamais avant que sa Majesté le Roi n’ait effectué le sacrifice de son mouton. La suite est réservée au travail des femmes.

Le travail des femmes

Les carcasses sont suspendues et éviscérées. Dans le mouton, tout est bon ! Alors le premier jour est consacré aux abats et aux tripes. Celles-ci sont lavées par les femmes, puis suspendues pour sécher. Elles seront mangées le lendemain en tagine. Cette tâche peut durer plusieurs heures. Elle est peu ragoutante.
Je regrette n’avoir pas fait de photos de mes belles sœur affairées, brosses en main devant la bassine, mains manucurées et tenue de fête… Cette année-là, le personnel de maison avait déserté la propriété pour aller faire la fête au « bled »… Fières d’avoir accompli cette mission pour la première fois de leur vie, elles avaient posé sur la table du jardin les tripes blanches comme neige, fruit de leur dur labeur. Ce n’est que quelques heures plus tard, devant la table vide, qu’elles ont dû se rendre à l’évidence que le chien avait fait bombance… Depuis, elles achètent chez le boucher les ingrédients tout prêt quelques jours avant.

Le partage d’un gueuleton familial

Entre le sacrifice et le déjeuner se déroule environ trois heures, le temps de préparer la carcasse, de laver les viscères et de préparer les salades et les brochettes marinées.

Boulfaf – Brochettes de foie marinées et roulées dans la crépine.


Ce premier repas se compose des brochettes de foie roulées dans la crépine (boulfaf) et de brochettes de cœur. Les tripes seront servies le deuxième jour. Je ne saurais jamais trop remercier ma belle-mère qui m’épargne ce régime depuis plus de 20 ans et pense toujours à me préparer des brochettes de poulet ou des côtelettes d’agneau.
Mais globalement les Marocains sont friands de ces mets délicats préparés exclusivement à l’occasion de cette fête. Si les mets sont savoureux, ils sont néanmoins gras et lourds à digérer, le repas est donc souvent suivi d’une sieste salvatrice.
Aujourd’hui, les Marocains se rendent volontiers au cinéma en début de soirée pour clôturer cette journée pas comme les autres. Une petite salade ou un potage constitueront un souper léger avant d’aller se coucher et d’attaquer le tagine de tripe le lendemain.

Si pour les touristes, faire l’expérience de l’Aïd El-Kébir constitue une expérience fascinante et enrichissante. Malheureusement, ils risquent bien de se retrouver coincés à l’hôtel les jours suivants la fête. En effet, si le congé ne dure officiellement, que trois jours, les bazars resteront fermés aussi longtemps qu’il reste de la viande sur la carcasse du mouton, ce qui peut bien durer une semaine entière.